Sujet de fantasmes ou d’appréhension, le Brésil engendre énormément de clichés qui ont un peu la peau dure. Mais se vérifient-ils vraiment ?
Par exemple, pour ne citer que quelques commentaires négatifs sur ce pays, on m’a demandé pourquoi est-ce que je m’aventurais là-bas, à part pour dandiner mes fesses sur des plages, une caipirinha à la main ou bien encore que c’était trop dangereux d’être une fille non accompagnée (trois en l’occurrence pour ce voyage) d’un homme pour ne pas se faire importuner !
Bref, bien que m’agaçant un petit peu de ces préjugés sur un pays qui, effectivement, a des stéréotypes mais comme chaque contrée de la planète ; je me suis mise au défi de les décortiquer et de me faire ma propre analyse. Car bien sûre, j’ai également mes aprioris et je me pose souvent énormément de question sur ce que je vais découvrir en voyageant. Justement, c’est cette curiosité qui me permet de changer mes points de vue ou de les conforter, d’ouvrir mon regard sur le monde et particulièrement sur notre société actuelle.
Ainsi n’arrivant pas à m’endormir dans l’avion, je me demandais ce que j’allais découvrir dans ce pays et je repensais à une interview du célèbre musicien Gilberto Gil, ministre de la culture sous le gouvernement Lula, qui déclara lorsque le journaliste lui demanda s’il avait le sentiment qu’en France ou ailleurs dans le monde, les gens véhiculaient toujours autant de clichés sur le Brésil : « Cela ne me gêne pas qu’il y en ait. Au contraire ! Les clichés sont ce qui permet à une culture, à un peuple de devenir plus visibles. Donc ils sont naturellement quelque chose d’important. » Mais que son objectif était, bien sûr, « un peu au-delà du cliché ; d’arriver à une vision plus globale, à une meilleure perspective ». Ainsi, c’est exactement ce que j’ai voulu entreprendre dans ma démarche d’analyser ces clichés pour pouvoir avoir une représentation entière de ce pays fascinant.
Le Brésil, plus exactement Rio de Janeiro, est le pays du Carnaval et de la samba
Et oui, chaque année durant cinq jours, les rues de Rio de Janeiro s’animent au son de son célèbre carnaval, « le plus grand spectacle de la Terre » comme l’appellent les organisateurs. Tout tourne autour des écoles de samba qui préparent activement leurs chars pour le défilé final dans son enceinte réservée : le Sambodrome, que nous n’avons malheureusement pas eu le temps de visiter. Bien que le défilé dans l’arène cloue de manière magistrale les festivités, les Cariocas préfèrent allègrement le carnaval de rue où les habitants se retrouvent par quartier pour faire régner la bonne humeur jusqu’aux lueurs du jour.
Cependant, je m’attendais à ce que les habitants vivent pour ce carnaval et pratiquent la samba. Alors effectivement, les personnes que nous avons rencontrées à Rio, nous ont clairement dit qu’il fallait que l’on revienne à cette période de l’année car la fête y est grandiose ; en revanche, peu ont la passion de cette danse ou l’envie de l’apprendre. Elle reste profondément ancrée dans les « bas-fonds » de la population brésilienne, puisque qu’elle émergea à l’époque de l’esclavage africain dans le cœur populaire de la ville des Cariocas.
Nous avons pu expérimenter la pratique de la samba seulement à São Paulo. Nous résidions dans la famille de mon amie et j’étais sûre qu’ils pratiquaient la samba. Et bien, que nenni ! A mon grand désarroi, aucune des personnes rencontrées n’a l’air de pratiquer cette danse dans ce pays.
Ils nous ont expliqué que ce n’était pas très courant de la danser ! Nous les avons quand même convaincus de nous emmener dans un bar, célèbre pour ses musiques de samba – le très chaleureux Bar Samba où j’ai passé une des meilleures soirées du voyage. Ce fut une très belle expérience d’observer tous ces Paulistanos se déhancher sur des sons de grande beauté puis de prendre part à la fête. J’étais comme fascinée, et pouvoir un jour prétendre avoir le même rythme qu’eux serait simplement formidable.
La samba
Ce n’est pas qu’une danse populaire mais également un genre musical que l’on doit aux esclaves africains qui à l’abolition de l’esclavage au Brésil arrivèrent à Rio de Janeiro afin de trouver du travail. Ils emmenèrent avec eux leurs danses et leurs percussions qui donnent ce rythme si défoulant.
Alors oui, c’est le pays du carnaval et la samba y fut inventée, mais tout ne se résume pas que à Rio de Janeiro. Depuis quelques années, d’autres carnavals plus populaires et festifs ont émergé à Bahia ou encore à Recife. De plus, de nombreuses autres danses traditionnelles peuplent le Brésil comme le forrò ou la lambada et valent la peine de s’y intéresser. Ces danses sont tout simplement enivrantes et c’est un grand plaisir de danser dessus et, de retour à la maison, d’essayer d’apprendre les bases.
Vous trouverez ci-dessous mes deux chansons « coup de cœur » brésiliennes, qui donnent directement le sourire et l’envie de danser jusqu’au petit matin.
Le Brésil est le pays du football
Bien plus qu’un sport, le football est dans ce pays comme une addiction pour une grande partie de sa population. Et encore, ce serait réducteur de le comparer comme cela tant il y a peu de pays je trouve, dans lequel une passion rassemble autant son peuple. En effet, elle réunit toutes les générations et surtout toutes les classes sociales. Alors pour moi, grande amatrice du ballon rond, ce fut un réel plaisir d’échanger avec les locaux sur notre passion commune.
De plus, lors d’une visite au pavillon Oca à São Paulo, nous avons découvert une très belle exposition sur la vie brésilienne et son histoire, et un cliché m’a fortement interpellée. Cela m’a permis de découvrir un autre aspect du football brésilien, celui plus populaire, des favelas, où tous les genres aiment se retrouver autour du ballon et partager un moment ensemble.
Alors oui, c’est la nation qui a gagné le plus de coupe de monde, de très grands joueurs marquèrent universellement les esprits mais pourtant, à titre personnel, cette nation du foot ne me fait absolument pas rêver. Ce n’est pas le pays absolu du football à mes yeux, puisque ce sport est le plus populaire dans presque toutes les contrées du monde. Au contraire, je m’émerveille plutôt du développement mis en place par le gouvernement brésilien et des bénévoles pour unir tout un pays et surtout toutes conditions sociales autour d’un même sujet en construisant des terrains de toutes parts et en aidant les moins fortunés à s’épanouir de leur passion ce qui crée une entité solidaire.
Petit bikini et fesses à l’air à la plage
Alors là, aucun moyen de ne pas affirmer cette évidence. Oui, à la plage, en tout cas à Rio de Janeiro où nous avons pu l’observer, les femmes se promènent en bikinis très échancrés !
Ainsi, nous avons décidé de nous mettre dans cette ambiance très détendue en allant acheter un bikini brésilien. Après avoir fait le tour d’un immense centre commercial, c’est toutes contentes que nous nous sommes retrouvées à bronzer et à nous amuser dans les eaux de la célèbre plage d’Ipanema (faites attention à vos affaires, ne les laissez jamais sans surveillance). Cela reste un de mes plus beaux moments du voyage, de nager dans l’océan et de réaliser que je me trouvais à Rio de Janeiro, cette ville tant fantasmée. En y repensant, ce maillot valait son pesant d’or mais c’est un joli souvenir du Brésil.
Les Brésiliens sont chaleureux et toujours de bonne humeur
Nous avons rencontré beaucoup de locaux, surtout grâce au fait que, à São Paulo, nous logions dans la famille de mon amie. C’est un peuple très convivial qui aime aider (par exemple, discuter et demander votre chemin dans les transports en commun, les chauffeurs sont adorables et vous aident toujours et ce avec sourire) et qui apprécie, particulièrement, montrer aux étrangers (et encore plus si tu es de la famille), la beauté et la diversité de leur pays !
Ils vous entrainent dans leurs contrées comme dans un manège où chaque endroit exploré est expliqué avec des anecdotes et des expériences vécues. Et ce fut, pour eux, impensable de nous laisser payer un centime lors de notre séjour dans la famille. Ils refusèrent même de nous laisser les inviter lors de notre dernière soirée dans une des meilleures churascaria de la ville. Et il n’y a pas à discuter ! Pour eux, c’est normal d’être attentionnés et prévenants et ils pensent que l’ouverture d’esprit et de partage est le même en Suisse. A discuter, mais il est vrai que notre mentalité n’est pas la même.
Toutefois, contrairement alors à nous «bons suisses» (on parle des clichés non ?), les brésiliens ne sont pas réglés comme des coucous suisses. Le deuxième sport national est leur retard perpétuel. Nous pourrions croire qu’ils prennent tout avec légèreté mais au Brésil, il faut du temps pour mettre en place des choses ou pour se décider. Ainsi, où va-t’on emmener les petites pour leur premier jour dans la cité Paulista ?
Tant de questionnement, que nous restâmes à la maison cloitrée… Nous sommes encore en train d’attendre pour aller aider une association dans la favela de Paraisópolis, ce qui nous intéressait grandement, mais à 10h tapante, heure à laquelle nous devions partir, le cousin (l’émetteur de l’idée) de mon amie ne s’est jamais présenté et nous ne l’avons pas revu de tout le voyage. Ce fut frustrant et parfois un peu rageant de vouloir partir explorer mais de «dépendre» de personnes pas très fiables au niveau des horaires. Le pompon fut quand nous apprîmes que la femme du cousin était arrivée avec quatre heures de retard à son propre mariage – et selon leurs dires, ce ne fut de loin pas le seul mariage avec des retardataires.
Mais ce n’est pas dangereux comme pays le Brésil ?
Telle est la question qui me fut posée dès mon annonce de départ. Ainsi, demander de façon si abrupte si ce pays est dangereux, c’est tacitement sous-entendre qu’il l’est. Pour ne citer qu’eux, mes parents étaient grandement inquiets que je m’aventure au Brésil, pourtant mes nombreux voyages, ainsi que mon précédent séjour en Amérique du Sud ne les avait pas rassurés pour autant. Peut-être parce que mon envie de découvrir ce pays était bien plus grande que la peur, je ne me suis pas tant inquiétée de partir là-bas. Je connais des personnes qui se sont senties en danger mais, à aucun moment, je n’ai ressenti de la peur ou de l’inquiétude. Nous étions simplement trois amies qui profitaient de la vie brésilienne sans s’inquiéter de l’inimaginable, tout en nous surveillant les unes et les autres.
Cependant, j’ai posé la question directement à un Brésilien, mon ami qui habite Fortaleza et il me répondit aussitôt : « Você é doido de vir no meu país ! O Brasil é um país muito perigoso ! » Littéralement, “tu es complètement folle de venir dans mon pays ! Le Brésil est un pays très dangereux !”
D’ailleurs, sollicitez n’importe quel Brésilien, de toutes conditions sociales, et il répondra pareillement à cette demande. C’est plus particulièrement, Tayane, une amie d’une de mes compères de voyage, avec qui nous avons bu un verre un soir à Rio, qui décrivit le mieux la situation de peur que ressent la majorité de la population dans le pays. Elle expliqua que cela est dû à de nombreux éléments, surtout suite à l’histoire politique du pays, de sa géographie et de ses inégalités sociales qui creusèrent majoritairement, depuis près de cinquante ans, le fossé entre les très riches et les très pauvres. En allant au travail, elle peut parfois ressentir de la gêne et elle évite certains quartiers, propos qui furent renforcés par les déclarations de son copain qui lui-même, en tant qu’homme, se sent quelques fois en insécurité dans son propre foyer ou au travail. Une sorte de paranoïa ambiante décrite par presque toutes les personnes rencontrées principalement à Rio de Janeiro et qui m’interpella.
Alors en constatant les diverses statistiques sur le pays, il est évident que le taux de criminalité est un des plus élevés du monde. Et puis, la violence ne cesse de grimper dernièrement dans ce pays, notamment avec les affrontements entre la police et les gangs de narcotrafiquants, particulièrement à Rio de Janeiro, dans les grandes zones urbaines ou dans les favelas non pacifiées. Notamment, avec plus de 60 000 homicides par an, dont une infime proportion est élucidée, le Brésil offre également l’image d’une nation où les forces de l’ordre ont perdu toute leur autorité.
Mes parents m’ont toujours conseillé avant de partir quelque part de me renseigner sur le site du Département fédéral des affaires étrangères et son conseil aux voyageurs pour tous les pays du monde. Du coup, en lisant la rubrique criminalité du site internet, le Brésil ne paraît pas très accueillant au premier abord, cela paraît un peu alarmiste, mais expérience faite sur place, rien ne nous est arrivé ! Naturellement, nous avons suivi les conseils établis par le département, qui à mon avis, y vont du bon sens.
La politique brésilienne, soit le pays de la corruption ?
Pour mieux appréhender un pays, j’aime toujours connaître son histoire et sa politique. Passionnée par ces deux sujets qui vont forcément de pair, cela me permet de me faire une idée de l’endroit où je vais atterrir et surtout j’aime par la suite essayer de retrouver des traces du passé dans ce que je peux découvrir. Cependant, je vous épargne ma petite synthèse sur l’histoire brésilienne. (vous pouvez la retrouver ici, si cela vous intéresse.)
De nos jours, la crise politique brésilienne montre que la corruption recule, mais personne n’arrive à en imaginer l’avenir. Ce qui nous a surprises, c’est que toutes les personnes avec qui nous avons échangé sur le sujet aient fait la même allusion. Si on veut comprendre la politique brésilienne, il faut simplement regarder la série américaine House Of Cards, où jeux de pouvoirs et de manipulation sont de mise.
Et on ne peut que l’affirmer quand on résume ces dernières années : Lula, ex-président et figure emblématique de la résistance à la dictature, condamné à de la prison ferme, Dilma Rousseff, première femme présidente, destituée par le Sénat en 2016 ou encore son remplaçant Michel Temer qui fut sur la sellette pour corruption… à croire qu’une sorte de malédiction plane sur la fonction présidentielle brésilienne. De plus, rien ne présage un avenir glorieux avec le nouveau président élu, Jair Bolsonaro, qui marqua sa campagne à la présidence avec des propos racistes, homophobes et misogynes, pourtant il « rassure une grande partie de ses concitoyens et et à l’extérieur, les courants conservateurs et populistes américains et européens » selon Sergio Praça, professeur spécialiste de la droite brésilienne à l’institut de recherches politiques Getulio Vargas. Je vous conseille un article très intéressant sur la montée au pouvoir dans plusieurs pays de leaders nationalistes et populistes comme Bolsonaro. À méditer !
Les Brésiliens savent qu’ils ont besoin de renouvellement, pourtant comme l’analyse très justement le politologue brésilien Everaldo Moraes, « les hommes politiques sont tous condamnés par l’opinion publique. Le Brésil est englué dans le présent. Nous ne parvenons pas à imaginer un avenir, car nous n’avons pas assez d’éléments pour savoir ce qui va se passer à moyen terme ». Autant dire, que le peuple brésilien n’est pas confiant et que la crise politique risque de perdurer.
Mais est-ce le début d’une nouvelle ère avec toutes ces condamnations en justice ?
Nous comprenons de plus aisément que le peuple ait un rapport prudent et dubitatif envers leurs politiciens. Cependant, ils tendent à relativiser davantage sur les soucis de la vie quotidienne. La cousine de mon amie nous a expliqué cette sorte de mécanisme social que les brésiliens nomment jeitinho brasileiro. Ce terme est souvent utilisé pour définir l’identité nationale des Brésiliens face aux lois. Étant un pays grandement corrompu et où la bureaucratie est très mise en valeur, c’est un quelque sorte un comportement qui permet d’atteindre un objectif en enfreignant une loi établie afin d’obtenir un passe-droit, voire simplement un simple avantage. Selon les divers articles que j’ai lus en ligne, cette petite magouille (oui, la corruption atteint toutes les classes sociales du pays), est perçue dans le pays de manière positive puisqu’elle représente d’une certaine façon l’humanisation des lois et de la politique nationale, une fonction d’entraide et de solidarité et une manière également plus conciliatrice de donner au peuple les mêmes droits dans toutes les classes sociales, pourtant également de manière négative, puisque ce mécanisme découle de la structure brésilienne actuelle, sociale et politique, pervertie par la corruption.
Sujet très fascinant tant au niveau sociologique que politique, ce fut très intéressant d’écouter cette jeune fille, ainsi que toutes les personnes rencontrées lors de ce voyage, nous parler de leur pays avec des idées bien précises et réalistes. Indéfectiblement attachés à leur nation, les Brésiliens critiquent énormément leur système tout en ne concevant pas que des pays plus développés puissent émettre également un jugement sur cette problématique.
Ce pays sud-américain se révèle beaucoup plus complexe et riche que ne le laissent paraître certains clichés. Le Brésil ne laisse personne indifférent, mais ce pays a tellement à offrir que ce soit en terme de paysages (comme les Chutes d’Iguaçu) ou humainement, que cela serait dommage de ne pas s’y aventurer suite à l’écho de ces clichés ou de certaines vérités qui peuvent effrayer (Triple Frontière). C’est un pays émergeant sur lequel il faut de plus en plus compter et qu’il faut découvrir sans modération.