Réflexions

Rapport sur le volontourisme

En triant mes dossiers académiques, je suis retombée sur un rapport que j’ai dû remettre, en décembre 2019, dans le cadre de mon cours Intercultural Organisational Management à l’université Napier à Édimbourg.

Il m’est ainsi venu à l’esprit d’ajouter une nouvelle page au blog, autour du voyage et des réflexions que je me fais (clique ici pour t’y rendre). Ainsi, je vous poste ici ce rapport qui a été très bien accueilli et qui permet de prendre en compte des informations capitales lorsque l’on pense au volontariat. Ce rapport découle de mon expérience personnelle, mais également d’une réflexion faite tout au long du semestre dans ce cours, qui était très intéressant et enrichissant. Cela permet de remettre en perspective certaines pratiques.

Introduction

Le volontourisme, ou volontariat, est une tendance croissante. Mais ce secteur est controversé (Wearing & McGehee, 2013 ; Guiney & Mostafanezhad, 2015). A mi-chemin entre le tourisme et le volontariat humanitaire, le modèle économique de ces entreprises est en plein essor depuis les années 1990 (Miller, 2019) et continue de jouer un rôle important dans l’idée de post-colonialisme (McMichael, 2016) et dans l’exploitation du Sud (Bandyopadhyay, 2019).

Le tourisme bénévole fait l’objet de nombreuses discussions en termes d’effets positifs et négatifs sur les différents acteurs impliqués (Wearing & McGehee, 2013). En effet, en passant d’un simple terme de « volontariat » à « bénévolat », on peut définitivement se demander aujourd’hui si l’objectif du tourisme volontaire est d’amener le Sud global au même niveau que le Nord global développé ou de les forcer à rester aussi différents, exotiques et purs qu’ils sont projetés (Bandyopadhyay, 2019). Par conséquent, le tourisme volontaire fait-il une réelle différence ?

En se référant à des sources universitaires, aux acteurs concernés et aux questions interculturelles, le pouvoir intersectionnel, le rôle des médias et la question du langage seront analysés. Enfin, une brève partie examinera ma propre réflexion sur le tourisme de bénévolat.

Les parties prenantes et les questions interculturelles

Le volontariat est devenu une véritable industrie qui rassemble différentes parties prenantes. Ces projets d’aide existent partout dans le monde, déterminés par une même configuration : des volontaires du Nord qui vont aider les communautés pauvres du Sud, par le biais d’une grande variété d’organisations touristiques ou à but lucratif, telles que des entreprises privées, des universités ou des associations, qui organisent le projet contre une rémunération coûteuse.

Dans ce contexte, le ou la bénévole pense qu’il/elle fait du bien en voyageant. Comme le dit Bandyopadhyay (2019), la vision d’un bénévole chemine d’un « mélange du voyage et du travail, de l’hédonisme et d’intentions, de la charité et de la croissance personnelle ». Cependant, quelles sont ses motivations réelles ? Possède-t-il/elle les compétences nécessaires pour s’occuper d’enfants dans des orphelinats ou pour travailler dans des hôpitaux ?

Des limites éthiques entrent en jeu qui remettent en question l’investissement réel des volontaires qui se retrouvent dans un lieu inconnu, dont ils ne comprennent pas la langue et dont le rôle est ambigu puisque les bénévoles se perçoivent comme des aides mais, en réalité, cette désignation idéale s’avère irréaliste, une fois que les conditions culturelles inhabituelles et difficiles et leurs compétences réduites ont été ajoutées à l’équation (Palacios, 2019). L’image du bénévole peut être comparée à celle du « Sauveur blanc » (Bandyopadhyay, 2019) ou à celle du « Sauveur Barbie » (Wearing, Mostafanezhad, Nguyen, Thanh Nguyen & McDonald, 2018), qui fait référence à l’idée de colonialisme et aux motivations réelles des bénévoles en termes de perception et de travail bénévole. 

Ce compte instagram a d’ailleurs essayé de sensibiliser sur le sujet

De plus, Gray & Campbell (2007) mentionnent que « s’il est important de comprendre les bénévoles, ils ne représentent qu’une moitié de l’histoire ». En effet, il existe très peu d’études qui se concentrent sur les avantages ou les aspects négatifs envers les populations hôtes. Guttentag (2009) affirme qu’il y a une grande négligence des désirs des populations locales, un renforcement de la conceptualisation de l' »Autre », et un encouragement au changement culturel.

Pouvoir intersectionnel

Il existe encore une grande complexité de questions et de relations de pouvoir dans les contacts touristiques bénévoles mondiaux contemporains (Wearing, Young & Everingham, 2017). Nous devons nous pencher sur l’inégalité structurelle qui se reproduit à chaque rencontre. En effet, le tourisme volontaire amène des bénévoles économiquement puissants (Mostafanezhad, 2013), qui ont suffisamment de ressources pour s’offrir un voyage à l’étranger, et des communautés d’accueil défavorisées où la pauvreté est un critère pour lequel le volontariat existe.

Le souci d’aider à renforcer cette inégalité de pouvoir et de privilège peut conduire à une pensée néocoloniale, puisque le discours (voir la section ci-dessous sur le langage) du volontariat est basé sur l’idée qu’un Occidental, même inexpérimenté et non qualifié, peut être un agent de changement et de développement.

Cette inégalité de pouvoir est renforcée par le fait que seules les entreprises occidentales proposent des  » forfaits de volontariat  » pour voir et aider le  » spectacle de l’Autre  » (Hall, 1996). Ceci est renforcé par les commentaires de Sardar (1999) qui explique que « le vrai pouvoir du Nord global ne réside pas dans son développement économique massif, mais plutôt dans son pouvoir de définir, représenter et théoriser l' »Autre » ». 

En fin de compte, le pouvoir est entre les mains des volontaires qui ont payé pour assumer le rôle de spécialistes dans des communautés locales qu’ils connaissent peu (Wearing, 2001 ; Raymond & Hall, 2008) et pour lesquelles l’hôte se sent parfois inférieur et laisse le volontaire faire à sa façon parce qu’il a besoin de l’argent donné par celui qui l’aide (Stanley, 2017, p.112)

Rôle des médias et du langage

Le discours sur le tourisme bénévole est basé sur l’idée de sauver et d’aider les autres. En effet, les entreprises qui envoient des volontaires à l’étranger utilisent le langage pour faire la différence afin d’attirer des volontaires, ce qui renforce le fait que les bénévoles partent pour des raisons déraisonnables (Simpson, 2004). Ce rôle publicitaire construit un soi culturel et racial pour les volontaires tandis que pour les hôtes, on trouve une idée d' »altérité » (Stanley, 2019).

Le rôle des médias et de la publicité pour le bénévolat est clairement une sorte de profilage des touristes bénévoles et non des personnes dans le besoin, afin d’exprimer à travers un objectif marketing les motivations de ces personnes à être bénévoles pour, ensuite, mieux répondre à leurs désirs (Guttentag, 2009) et non pas pour répondre aux désirs des communautés locales. Palacios (2010) exprime le fait que la dénomination de « volontaire » est également un marqueur social important de l’identité, ce que les entreprises ont compris et tentent de promouvoir.

Ces sociétés proposent des catalogues avec des locaux, souvent avec des enfants, qui font la promotion de ce que les Occidentaux trouvent exotique et non la réalité. Pour trouver des volontaires, elles ne mettront jamais en avant, par exemple, les embouteillages à São Paulo ou les bidonvilles en Inde. En effet, si l’on prend le site web de Projects Abroad (s.d.), qui se définit comme « une entreprise sociale internationale spécialisée dans l’organisation de missions de volontariat à l’étranger », on s’aperçoit rapidement que son offre est digne d’un grand tour-opérateur avec de nombreuses destinations dans le monde entier. Ils mettent en avant les personnes qui font la différence en allant à l’étranger, mais comme le diraient Kascak & Dasgupta (2014), peut-on jamais justifier que des individus prenant des photos entourés d’enfants pauvres fassent la différence ?

Ma propre réflexion sur le tourisme bénévole

Mes sentiments sur le tourisme bénévole sont simples, mais aussi compliqués. Ainsi, je n’ai aucun problème avec les personnes qui veulent aider et voyager grâce au tourisme de bénévolat, car ils peuvent créer du bien pour les communautés et cela peut être mutuellement bénéfique. Cela ne me dérange pas que les gens veuillent dépenser beaucoup d’argent pour aller aider, toutefois il serait préférable de se tourner vers des agences locales et non internationales. En outre, je pense qu’il serait bon que des personnes qualifiées travaillent dans les pays en développement où il y a un réel besoin.

Cependant, je pense que pour éviter de contribuer à cette industrie et de maintenir toutes les critiques qui ont été faites à ce sujet, nous devrions simplement nous poser les bonnes questions avant de partir à l’étranger. Ce que je n’aime pas, ce sont les projets qui ne sont pas nécessaires au niveau local, qui ne tiennent pas compte des différences culturelles et qui sont davantage axés sur les aspirations des volontaires que sur la communauté qu’ils essaient d’aider. En effet, je trouve que les motivations des volontaires sont très paradoxales car le but final n’est jamais vraiment d’aider les gens mais plutôt de s’aider soi-même, de contribuer à son propre développement.

Conclusion

On ne peut nier que le tourisme bénévole fait l’objet de vives critiques et qu’il existe des préoccupations valables. Il est vrai qu’avec tout cela, comme l’affirment Wearing, Young & Everingham (2017), nous passons à côté de ce que devrait être le tourisme volontaire, c’est-à-dire le rapprochement entre les volontaires et les communautés d’accueil, que ce soit par le biais de la préservation ou de projets communautaires pour coopérer dans des interactions culturelles réciproquement précieuses.

Je pense qu’il faut une plus grande sensibilisation aux éventuels impacts négatifs du secteur afin que les missions puissent être développées de manière optimale pour toutes les parties prenantes.

Références

Bandyopadhyay, R. (2019). Volunteer tourism and “The White Man’s Burden”: globalization of suffering, white savior complex, religion and modernity. Journal of Sustainable Tourism, 27:3, pp. 327-343. DOI: 10.1080/09669582.2019.1578361.

Gray, N. & Campbell, L. (2007). A decommodified experience? Exploring aesthetic, economic and ethical values for volunteer ecotourism in Costa Rica. Journal of Sustainable Tourism 15(5), pp. 463–482.

Guiney, T. & Mostafanezhad, M. (2015). The political economy of orphanage tourism in Cambodia. Tourist Studies, 15(2), pp. 132–155.

Guttentag, D. A. (2009). The possible negative impacts of volunteer tourism. International Journal of Tourism Research, 11, pp. 537–551. DOI: 10.1002/jtr.727

Hall, S. (1996). Ethnicities. In D. Morley & K. Chen (Eds.), Stuart Hall: Critical Dialogues in Cultural Studies. London: Routledge.

Kascak, L., & Dasgupta, S. (2014, June 20). #InstagrammingAfrica: The Narcissism of Global Voluntourism. Pacific Standard.

McMichael, P. (2016). Development and social change: A global perspective. New York: Sage Publications.

Miller, M. (2019, 28 May). Les dérives du « volontourisme » chez les étudiants. Le Monde. Retrieved from https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/05/28/les-derives-du-volontourisme-chez-les-etudiants_5468320_4401467.html

Mostafanezhad, M. (2013). The politics of aesthetics in volunteer tourism. Annals of Tourism Research, 43, pp. 150–169. Doi:10.1016/j.annals.2013.05.002.

Palacios, C. M. (2010). Volunteer tourism, development and education in a postcolonial world: conceiving global connections beyond aid. Journal of Sustainable Tourism, 18:7, pp. 861-878. DOI: 10.1080/09669581003782739.

Projects Abroad. (n.d.). About Projects Abroad. Retrieved from https://www.projects-abroad.org/about-us/

Raymond, E. & Hall, C. (2008). The development of cross-cultural (mis)understanding through volunteer tourism. Journal of Sustainable Tourism, 16(5), pp. 530–543.

Sardar, Z. (1999). Orientalism. Buckingham, UK: Open University Press.

Simpson, K. (2004). “Doing development”: The gap year, volunteer-tourists and a popular practice of development. Journal of International Development, 16, pp. 681–692.

Stanley, P. (2017). A Critical Auto/Ethnography of Learning Spanish. p. 112. Routledge.

Stanley, P. (2019). Lecture 11 – Case study: volunteer tourism. [PowerPoint slides] Retrieved from https://moodle.napier.ac.uk/course/view.php?id=31088

Wearing, S. (2001). Volunteer Tourism: Experiences that Make a Difference. CABI Publishing: New York.

Wearing, S. & McGehee, N. G. (2013). Volunteer tourism: A review. Tourism Management, 38, pp. 120–130.

Wearing, S. Young, T. & Everingham, P. (2017) Evaluating volunteer tourism: has it made a difference?. Tourism Recreation Research, 42:4, pp. 512-521. DOI: 10.1080/02508281.2017.1345470.

Wearing, S., Mostafanezhad, M., Nguyen, N., Thanh Nguyen, T. & McDonald, M. (2018). ‘Poor children on Tinder’ and their Barbie Saviours: towards a feminist political economy of volunteer tourism. Leisure Studies, 37:5, pp. 500-514. DOI: 10.1080/02614367.2018.1504979.

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