À la croisée des cultures, ce carrefour géographique marque le point de rencontre entre les frontières du Brésil, de l’Argentine et du Paraguay, délimité naturellement par le croisement entre deux rivières : le Rio Paraná et le Rio Iguaçu.

Ce territoire s’est développé dès les années 60 suite à de grandes négociations entre les gouvernements du Paraguay et du Brésil puis, lorsqu’ils s’entendirent pour ériger le barrage d’Itaipu et ainsi produire assez d’énergie pour fournir environ 20% de l’énergie totale consommée au Brésil et pouvant aller à 90% de celle utilisée au Paraguay ! D’ailleurs, en atterrissant à Foz do Iguaçu, je m’étais demandée ce qu’était ce grand barrage que j’observais depuis le hublot.

Signifiant « la pierre qui chante » en guarani, langue officielle amérindienne parlée au Paraguay, la question environnementale ne fut abordée qu’à l’arrivée de l’Argentine à la table des négociations, admise à la discussion dans la mesure où la libération du réservoir du barrage aurait pu inonder Buenos Aires !
Source de fierté pour ces pays, sa construction est très sujet à controverse puisque plus de 10 000 familles vivant au bord du fleuve ont été déplacées. De plus, la zone ayant été submergée, cela détruisit une partie de la faune et de la flore. La construction de ce barrage entraîna également l’inondation de la cascade des Sept Chutes, qui étaient alors les plus grandes chutes du monde par leur volume ! Près de 1’500 km2 de forêts, terres agricoles et champs furent engloutis, 148 ouvriers travaillant sur le chantier moururent durant la construction de la centrale hydroélectrique et de nombreuses espèces d’animaux furent déportés mais sauvés. Malheureusement, le côté sombre de notre société qui tend toujours à aller plus loin sans prendre en compte les effets négatifs sur les « plus petits ».
Pourtant, c’est l’essor touristique envers les Chutes d’Iguaçu mais également des trafiquants en tout genre qui ont permis de mettre en lumière cette triple frontière.

Les communautés sont concentrées dans les trois villes adjacentes aux rivières :
- Ciudad del Este (ville paraguayenne)
- Foz do Iguaçu (ville brésilienne)
- Puerto Iguazú (ville argentine)
Nous nous sommes données l’opportunité de passer un petit moment dans chacune de ces villes, à Foz do Iguaçu puisque nous logions là-bas, à Puerto Iguazú pour aller admirer le point de vue sur la frontière fluviale et voir le célèbre monument Hito de Las Tres Frontieras et finalement à Ciudad del Este, puisque je voulais mettre les pieds au Paraguay. Et puis, visiter 3 pays en 2 jours sans réellement le planifier, quand aurions-nous l’occasion de le refaire à nouveau ?


Frontière entre le Brésil et le Paraguay
Après la visite des chutes d’Iguaçu du côté brésilien le matin, nous décidâmes d’aller explorer Ciudad del Este. Prenant le bus depuis Foz do Iguaçu, là commença notre petit périple. Je dois dire que je voulais absolument obtenir le tampon paraguayen sur mon passeport et comme nous étions des touristes sur le sol brésilien, il nous fallait nous arrêter au poste de frontière pour déclarer que nous sortions du territoire brésilien.
Ayant déjà, par le passé, expérimenté le passage de frontière entre le Chili et l’Argentine à plusieurs reprises, je savais que cela n’était que formalité (grâce à l’accord du Mercosur). Comme la triple frontière est devenue un secteur d’échanges permanents qui ne cessent de croitre, les passagers peuvent se déplacer sans soucis entre les deux pays. Cependant, rien n’indiquait dans le bus où nous devions nous arrêter, puisque celui-ci continuait directement sa route sur le Pont de l’Amitié, qui marque la frontière, sans faire un stop à la douane.
C’est une frontière mobile puisque plusieurs milliers de travailleurs traversent le pont chaque jour, parfois en faisant plusieurs aller et retour, ce qui donne de nombreux bouchons sur le Pont international de l’Amitié. C’est un de ces fameux bouchons qui nous permit de sortir du bus à l’entrée du pont. Tirage de ficelle pour indiquer notre demande d’ouverture des portes, nous sautâmes du bus qui était toujours en mouvement.

La compagnie de bus qui opère dans les environs s’appelle Rio Uruguay, alors que nous traversons la frontière brésilienne et paraguayenne… Elle tient son nom du Rio Uruguay qui fait office de frontière naturelle entre l’Argentine et le Brésil et également entre l’Argentine et l’Uruguay. C’est toujours une histoire de frontière…
Nous pourrions croire que le poste de frontière est un fantasme puisque le bâtiment, faisant office de douane et de bâtiment administratif pour quitter le territoire, était désert. Un seul guichet était ouvert et nous faisions connaissance avec un douanier brésilien qui ne parlait pas anglais. Baragouinant le peu de portugais que nous connaissions, nous réussîmes à nous faire comprendre (les filles se débrouillaient très bien et cela semblait facile de les entendre se démêler avec cette langue, pour ma part, mon cerveau n’avait clairement pas encore percuté dans quel pays je me trouvais, puisque je bredouillais mon espagnol débutant. Le comble fût que je ne dévoilerai mes talents linguistiques en portugais qu’une semaine après mon retour de ce voyage… lors d’un séjour à Barcelone).
D’ailleurs, dans cette partie du globe, est nommée « portugnol » en français, le langage de la triple frontière. Pimentée de guarani et d’anglais, il répond à l’envie de comprendre et de se faire comprendre dans cet endroit stratégique où le portugais et l’espagnol s’entremêlent parfaitement pour divers locuteurs : touristes, commerçants, vendeurs ou encore hommes d’affaires.
Le douanier nous expliqua qu’il était plus simple de traverser le pont à pied, suite au trafic, mais également pour voir la délimitation naturelle de la frontière. C’est une sensation étrange de marcher sur un pont et de se dire que territorialement parlant nous ne sommes nulle part, simplement au milieu de deux pays exotiques, se retrouvant dans un flow de personnes qui parcourent ce chemin tous les jours. Banal pour eux, extraordinaire pour moi. De plus, le paysage est magnifique bien que le fleuve Paraná ne soit pas très propre.



Nous rencontrâmes beaucoup de personnes transportant de gros paquets, soit à pied, soit en moto tout en observant les agents brésiliens, bras croisés, qui regardent sans broncher cette sorte de défilé permanent de marchandise. Par la suite, j’appris que ces « passeurs » sont communément appelés « formidas », des fourmis.
Nous arrivâmes finalement au Paraguay, à Ciudad del Este, où le poste douanier semblait aussi dépeuplé que son équivalent brésilien. Pourtant l’atmosphère nous frappa directement, sans égal avec celle brésilienne. Ayant obtenu le graal, soit le tampon paraguayen, quand nous observions ce qui nous entourait, nous nous sentions complètement dans une autre dimension.

Ciudad del Este est un vrai chaos ! Me rappelant le nom donné aux passeurs, il est vrai que toute l’agitation de la ville ressemble à une fourmilière. Possédant un statut de zone franche, ce que nous voyons, ne nous inspire pas trop confiance. Un vertige nous étreint, un mélange d’appréhension et de fascination.
Son atmosphère nocive et quelque peu dangereuse m’interpella tellement, que je fis des recherches de retour en Suisse. La réputation trouble de la ville ressortit, puisque qu’elle est accusée d’être un pôle de plusieurs trafics en tout genre. D’ailleurs, voici ce que déclare Wikipédia (source pas toujours fiable mais on s’en satisfait) sur sa page consacrée à la ville : « La fin de la guerre froide a fait de cette ville cosmopolite, devenue zone franche, un pot-pourri de la criminalité internationale qui se partage des activités telles que la fabrication de faux dollars et de faux documents d’identité, le trafic de drogues et d’armes, la revente (ou l’échange contre de la cocaïne) de voitures volées en Argentine et au Brésil, ainsi que le blanchiment d’argent sur une grande échelle ». Et encore, il est également dénombré que de nombreuses triades, mafias, ou encore gangs se positionnent sur les marchés de la prostitution ou du terrorisme.
La cité ressemble à un immense marché noir où de tout s’entremêlent. Véritable ville bazar, il n’y a aucun bout de nature, simplement des publicités agressives qui bouchent la vue pour annoncer des casinos, des offres électroniques et d’autres charabias. Nous n’apercevons qu’une seule allée de la ville, mais pas un mètre carré de trottoir n’est épargné par les centaines de baraques qui vendent des milliers de marchandises. Les produits sont clairement meilleurs marchés de ce côté-ci du fleuve et beaucoup de brésiliens viennent y faire leurs courses, principalement en matière d’articles électroniques, puisque les droits de douane sont avantageux comparés à ceux du Brésil, qui impose une politique en matière d’importation assez confiscatoire. De ce fait, je comprends mieux le rôle de ces nombreux passeurs qui ne devaient pas transporter que des objets légaux suite à la description émise sur cet endroit.
En tout pour tout, nous avons dû passer une vingtaine de minutes seulement dans la ville paraguayenne, puisque la seule raison pour laquelle nous sommes restées autant de temps, fut que j’étais à la recherche d’un chargeur de téléphone ! De ce fait, nous n’avons pas fait de photos, préférant ranger nos appareils ou nos téléphones portables, afin de ne pas avoir « l’air de touristes ».
Cela ne me permet pas vraiment d’émettre un avis complet bien qu’après avoir appris tout cela, mon côté investigateur me pousse à retourner dans cette ville. Mais comme elle ne me laissa pas une belle image sans savoir tout ce qui s’y passait, j’ai plutôt envie de sillonner d’autres contrées du Paraguay pour découvrir les beautés que ce pays à offrir et découvrir un peuple qui a l’air très attaché à son histoire et à sa culture.
Frontière entre l’Argentine et le Brésil
Le lendemain, nous avons passé la frontière argentine puisque nous allions explorer le côté argentin des chutes d’Iguazu. Pour l’aller, nous avons pris un bus organisé par notre auberge de jeunesse, comme cela, nous arrivions directement à l’entrée des chutes et nous pouvions nous arrêter en route pour changer quelques reais brésilien contre des pesos argentins. De plus, le passage aux deux douanes s’effectua de manière efficace et rapide (pourtant tout aussi désert que la frontière Brésil-Paraguay).
La frontière s’opère sur le pont international de la Fraternité qui surplombe le Rio Iguaçu (ou Iguazú en espagnol). Il est facilement reconnaissable de savoir dans quel pays nous nous trouvons lors de la traversée, puisque des sortes de plots aux couleurs de chaque nation se positionnent sur le trottoir de chaque côté du pont.


Après la visite des chutes, nous avons pris un bus qui nous emmena à Puerto Iguazú pour arriver à la place qui donne un magnifique point de vue sur le tripoint. Une des curiosités de la ville, en dehors des chutes, est le fameux monument Hito De Tres Fronteras où les trois drapeaux sont peints ensemble. Nous passâmes à côté de quelques stands où des produits à l’artisanat typique de la province de Misiones peuvent être achetés. De plus, comme on dénombre très peu de lieux dans le monde où la réunion de trois pays peut être observée, pour symboliser cet endroit assez unique, chacun des trois pays a érigé un obélisque aux couleurs de sa nation, comme point de repère.

L’atmosphère est bien plus agréable et accueillante qu’à Ciudad del Este et je retrouvais ce peuple argentin qui me fascina tant une année auparavant. C’est l’occasion de boire une Quilmes, la succulente bière argentine dont je raffole et d’observer les environs. Cette ville frontalière a grandement été aménagée pour son attraction touristique phare, cependant ce sont des infrastructures bien intégrées et respectueuses de la nature avoisinante. Toutefois, nous n’avions pas beaucoup de temps pour parcourir la ville plus en détail puisque nous voulions être de retour avant la nuit à Foz do Iguaçu.
A la gare routière, nous prîmes le bus qui traverse la frontière toutes les heures. On nous expliqua bien, que ce genre de bus attend à la douane argentine mais que à celle brésilienne, ils déposent simplement les voyageurs pour repartir sans délai. Effectivement, ce scénario nous arriva. Puisque nous ne voulions pas attendre le prochain bus, ni prendre un taxi, nous marchâmes quelques minutes pour déboucher sur la route reliant le Parc national d’Iguaçu à la ville. Nous montâmes dans le premier bus qui s’arrêta et qui allait à la gare routière ; cela nous permit d’apercevoir l’agglomération de la ville faite de petites maisons agréables et toutes simples.
De retour à Foz do Iguaçu, ce fut l’occasion pour nous de conclure ma première étape dans le pays par une churrascaria, une sorte de restaurant où une myriade de viandes, cuites au barbecue ou rôties à la broche, est proposée avec un buffet d’accompagnements et ce, à volonté ! le rêve !
Je ne pouvais conclure cet article sans mentionner ce genre d’endroit ! Ayant été émerveillée gustativement à Bariloche en Argentine, je ne pensais pas avoir l’occasion de savourer une viande si tendre, mais le Brésil ne me déçut en aucun cas. Véritables institutions dans le pays, les churrascarias se trouvent à chaque coin de rue… pour mon plus grand plaisir !
Etape assez marquante, cet endroit si unique permet de s’imprégner de trois différentes cultures en peu de temps mais également de découvrir les (sinistres) enjeux qu’une telle frontière, surtout dans cette partie du globe, offre au regard du monde.
++
J’ai découvert le polar Triple Crossing de Sebatian Rotella qui traite de la Triple Frontière. L’auteur, en bon journaliste, s’appuie sur une impressionnante documentation (nourrie par des années de reportages pour le Los Angeles Times) pour l’écriture de cette fiction. Nous plongeons dans le monde des trafics en tout genre sur fond de corruption, magouilles politiques, violences et d’autres méfaits. Il cadre son décor tout d’abord à la fameuse frontière mexico-américaine entre Tijuana et San Diego pour finir en apothéose à celle de la Triple Frontière. Un roman policier que je vous conseille grandement.
Et vous, êtes-vous déjà allés dans cette partie du globe ?
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