Après avoir cheminé parmi les merveilles de la rive ouest, le lendemain, nous avons mis le cap sur la rive est de Louxor. C’est un autre visage de la ville qui s’est offert à nous : plus vivant, plus chaotique, mais tout aussi chargé d’histoire.
Là, entre les klaxons des tuk-tuks et l’animation de la ville, s’élèvent encore les vestiges impressionnants des temples qui ont traversé les millénaires. Une autre immersion dans l’Égypte antique, à ciel ouvert.
Nous avons commencé notre exploration de la rive est par le majestueux temple de Karnak. Pour rejoindre ses colonnades imposantes, nous avons opté pour un bateau-taxi depuis notre hôtel, une traversée courte mais agréable sur le Nil. C’est une expérience plutôt fun, surtout au petit matin quand la lumière dorée commence à caresser les berges — mais elle a un prix. Comme nous logions sur la rive ouest, nous étions un peu captives de ce mode de transport, les options terrestres étant plus longues et moins pratiques.
Contrairement à nos visites précédentes sur la rive ouest, cette fois nous avons choisi de faire cavalières seules. Pas de guide, pas d’agence : juste nous deux, notre curiosité, et notre fidèle guide papier. Après plusieurs jours passés en compagnie de guides passionnants et certifiés, dont les explications nous avaient bien nourries, nous nous sentions prêtes à déambuler en autonomie. Et il faut dire que le site de Karnak, avec sa grandeur écrasante et ses innombrables détails sculptés, se suffit presque à lui-même pour émerveiller.
Le temple de Karnak à Louxor
Dès notre arrivée à Karnak, nous avons été happées par l’échelle monumentale du lieu. On entre par l’allée des béliers, solennelle, presque intimidante, et déjà la sensation est étrange : celle d’être minuscule dans un décor de géants, de se glisser dans un monde figé depuis des millénaires.



Le temple de Karnak n’est pas un temple unique, mais un immense complexe religieux, l’un des plus vastes jamais construits. Il s’est développé sur plus de deux millénaires, depuis le Moyen Empire jusqu’à l’époque gréco-romaine. Chaque pharaon ou presque a voulu y laisser sa trace, ajoutant pylônes, statues, colonnes, obélisques… Le tout dédié à la triade thébaine : Amon, Mout et Khonsou. Le site s’étend sur plus de 100 hectares, dont seule une partie est aujourd’hui ouverte à la visite.
Mais c’est en pénétrant dans la grande salle hypostyle que l’émerveillement a véritablement pris le dessus. Là, une forêt de 134 colonnes s’élèvent comme des troncs d’arbres sacrés vers le ciel, certaines hautes de plus de 20 mètres et certaines si larges qu’il faudrait plusieurs personnes pour en faire le tour. Chacune est gravée de hiéroglyphes d’une finesse troublante : des scènes de processions, des noms royaux, des offrandes aux dieux. Le moindre centimètre semble avoir été pensé, sculpté, poli.





On s’est surprises à caresser la pierre, à suivre du bout des doigts les contours d’un signe, comme pour mieux s’imprégner du geste de l’artisan qui, il y a plus de trois mille ans, a travaillé là, dans le même silence brûlant.
Il y avait dans l’air une forme de solennité douce. Pas seulement à cause de la beauté écrasante du lieu, mais à cause de cette simple pensée : tout ceci est là depuis une époque faite de mystères et d’avancées techniques. Ces colonnes, ces hiéroglyphes, ces perspectives alignées avec les étoiles – tout a traversé le temps, les guerres, le vent, les sables, pour arriver jusqu’à nous. Et nous, donc, minuscules visiteuses du XXIe siècle, marchions là, bouche bée, entre les ombres du passé.





Nous avons pris notre temps à Karnak. Pas question de bâcler la visite ou de simplement passer devant les monuments emblématiques pour « cocher » l’étape. Non, je voulais tout voir. Chaque recoin qui porte sa part de mystère et d’histoire. Nous nous sommes aventurées dans les moindres recoins du complexe, quitte à se perdre un peu dans le labyrinthe des ruines, à refaire trois fois le tour d’un même pilier juste pour être sûres de n’avoir rien manqué.
Le soleil tapait fort ce jour-là, même en matinée, un vrai soleil de plomb, implacable, sans un souffle d’air pour le tempérer. La pierre emmagasinait la chaleur, et à chaque pas on avait l’impression de traverser un four antique. Malgré tout, on a tenu bon, vaillantes, et on a même terminé notre visite en marchant les 2.5 km jusqu’au centre de Louxor.
Prévoyez un chapeau, de l’eau, et de bonnes chaussures. Et si vous avez le choix, rejoignez le temple dès son ouverture, comme nous, pour éviter les grandes foules et la chaleur assourdissante de l’après-midi.
Le temple d’Amon de Louxor
Après notre visite exhaustive de Karnak, nous avons pris la direction du temple de Louxor, situé un peu plus au sud, en bordure du Nil, au cœur même de la ville. Contrairement à Karnak, enclavé dans un vaste espace ouvert, le temple de Louxor surgit au milieu de l’agitation urbaine, comme un vestige imposant planté dans le présent. On y accède presque par surprise, tant la transition entre la ville moderne et le site antique est brutale.
Nous y sommes arrivées en plein après-midi. Le soleil était à son zénith, et la chaleur, écrasante, rendait chaque pas plus lourd. Très vite, je me suis sentie mal. La fatigue accumulée, la température, et les prémices d’une bonne turista… tout s’est mêlé, et j’ai eu du mal à garder le rythme. Le temple, que j’attendais pourtant avec impatience, m’a alors semblé presque décevant. Peut-être à cause de l’épuisement, peut-être aussi parce que, après la majesté de Karnak, Louxor semblait plus modeste, moins saisissant.
Construit principalement sous Amenhotep III et agrandi par Ramsès II, le temple de Louxor était dédié au dieu Amon, ainsi qu’à sa parèdre Mout et à leur fils Khonsou. Il servait notamment de cadre aux célébrations de la fête d’Opet, lors desquelles les statues divines étaient transportées entre Karnak et Louxor par voie fluviale. L’allée des sphinx, en partie restaurée, relie d’ailleurs encore aujourd’hui les deux sanctuaires.
En pénétrant dans le temple, on passe devant deux immenses statues de Ramsès II, assis, impassibles, gardant l’entrée comme deux sentinelles millénaires. L’unique obélisque encore en place – l’autre se trouvant aujourd’hui à Paris, se dresse là, solitaire. À l’intérieur, des colonnades bien conservées bordent une grande cour, et plus loin, une chapelle romaine construite à l’intérieur même du sanctuaire témoigne des réutilisations successives du site.


Mais ce jour-là, l’ambiance n’était pas propice à la contemplation. Des groupes d’élèves en sortie scolaire animaient le temple de leurs voix et de leur enthousiasme. C’était joyeux, vivant, mais aussi bruyant et envahissant. Rapidement, nous avons attiré l’attention. Deux femmes seules, étrangères, sans guide ou plutôt chaperon. Les regards se sont tournés vers nous, les questions ont fusé. Et sans que nous puissions vraiment y échapper, les appareils photo se sont levés. Des clichés pris sans demander, des vidéos parfois, des rires, des chuchotements. Une curiosité envahissante, qui, bien qu’elle ne soit pas forcément malveillante, a fini par nous fatiguer davantage encore.



Nous avons écourté la visite. Le lieu méritait qu’on s’y attarde, qu’on le découvre dans le calme, mais ce jour-là, ce n’était simplement pas possible. En quittant le temple, nous avons laissé derrière nous une autre facette de Louxor : celle d’un passé millénaire pris entre les murs d’un présent bruyant, vivant, parfois trop pressant.
Voguer sur le Nil
Après notre immersion dans la grandeur antique de Karnak, on avait besoin d’un moment de pause, quelque chose de plus léger. Alors on s’est laissées tenter par une balade sur le Nil. De ce point de vue, il y a peu de place à la spontanéité, toutes les embarcations voguent vers une seule direction, ce qu’on appelle ici « l’île aux bananes ». Bon, on nous l’avait vaguement recommandée, mais l’idée de voguer sur le fleuve avait de toute façon son propre attrait, peu importe la destination.
Nous sommes montées à bord d’une felouque (bien que j’aie failli tomber dans le Nil), ces voiliers traditionnels qui glissent doucement au gré du vent, sans moteur, sans bruit – juste le clapotis de l’eau contre la coque et le bruissement de la voile tendue au-dessus de nous. C’était l’expérience en elle-même qui valait le détour.



Se laisser porter, sentir le souffle tiède du vent sur la peau, regarder les rives défiler. C’était paisible, lumineux, presque méditatif. Une parenthèse suspendue du voyage.


Quant à l’île aux bananes… disons-le sans détour : l’endroit n’a rien de remarquable. Une poignée de bananiers, un aménagement sommaire pensé pour les visiteurs, quelques boissons proposées à l’ombre et, malheureusement, des animaux en cage. Une vision qui m’a aussitôt révoltée et fait rebrousser chemin. L’idée d’authenticité vendue ici sonnait faux, comme une façade construite pour le regard des touristes. Rien qui ne mérite vraiment le détour. L’essentiel, en vérité, se trouvait ailleurs.
Ce qui reste, c’est ce voyage lent, au ras de l’eau. C’est cette sensation de flotter entre deux rives chargées d’histoire, entre ciel et Nil, sur un bateau « ancestral » dont la silhouette n’a pas changé depuis des siècles. C’est le silence, la lumière dorée de l’après-midi, et ce sentiment simple d’être exactement là où il faut, sans avoir besoin d’en faire plus.


La rive est de Louxor est une tapisserie vivante, tissée entre passé et présent. De la majesté solennelle de Karnak au chaos vibrant autour du temple de Louxor, elle invite à marcher à travers le temps. Et lorsque le poids de l’histoire se fait trop lourd, le Nil souffle juste ce qu’il faut de brise pour vous ramener doucement à vous-même.