Installées à Louxor pour la suite de nos aventures égyptiennes, l’envie me démangeait d’aller plus loin, vers Assouan, de pousser l’exploration jusqu’à deux joyaux de l’Égypte antique : Abou Simbel et le temple de Philae.
Mais voilà, le temps n’était pas de notre côté : une seule journée pour faire l’aller-retour jusqu’à Assouan depuis Louxor. Il a donc fallu faire des choix (douloureux). Exit les beaux villages nubiens et, avec un pincement au cœur, Abou Simbel, trop éloigné pour notre timing serré. Mais ce n’est que partie remise !
Nous avons fait appel à notre hôte de Gizeh pour nous concocter une journée à Assouan. Il était un brin sceptique, surtout à cause des barrages policiers sur la route (je vous en parle plus bas). Il nous a proposé un itinéraire “classique”, à comprendre : le temple de Philae, le barrage d’Assouan (mais de loin) ainsi que l’obélisque inachevé, couché dans la poussière. Honnêtement, on a passé notre tour.
On a donc affiné notre programme, malgré les doutes persistants de notre organisateur. Mais on y croyait. On a pris le risque. Allions-nous réussir à voir ce que nous voulions ? Récit d’une journée sous tension (et sous 35 degrés en plein mois de décembre).
Voyager sur les routes d’Égypte
En Égypte, certaines routes reliant les grands sites touristiques – comme Louxor, Assouan et Abou Simbel, sont soumises à des réglementations strictes pour les véhicules transportant des touristes. Ces mesures visent à garantir la sécurité, mais elles peuvent sérieusement compliquer la logistique d’un road trip improvisé.
Ainsi, la route entre Louxor et Assouan n’est officiellement ouverte aux véhicules touristiques que de 9h à 16h. En dehors de cette plage horaire, les barrages policiers peuvent refuser le passage, même si vous êtes en voiture privée avec chauffeur. Cela implique que chaque trajet doit être minutieusement planifié, au risque de se retrouver bloqué à un checkpoint en plein désert.
Cette contrainte est d’autant plus marquée depuis que l’État a construit une route directe, comme vous pouvez le voir sur la carte ci-dessous. Ce nouvel itinéraire contourne le Nil, ce qui permet de gagner plusieurs heures de route, mais impose aussi de respecter des horaires stricts pour les véhicules touristiques.

Quant à la route entre Assouan et Abou Simbel, elle a longtemps été considérée comme sensible. Autrefois, les déplacements se faisaient en convois militaires. Aujourd’hui, ce n’est plus obligatoire, mais il faut obtenir une autorisation préalable (souvent via votre hôtel ou une agence locale), et partir très tôt le matin. Cela est à prendre en considération lors de la planification d’un voyage en Egypte.
De Louxor à Assouan, départ à l’aube
Il est 6h du matin à Louxor. Le soleil dort encore, mais pas nous. Mon amie et moi embarquons pour une expédition de 4 heures direction Assouan, avec pour premier objectif : le temple de Philae.
Un chauffeur et un guide égyptologue, souriant et parfaitement anglophone, nous attendent au pied de notre hôtel. Encore un peu engourdies par le réveil matinal, nous grimpons à bord, les yeux mi-clos mais le cœur plein d’enthousiasme. Une nouvelle journée commence, placée sous le signe des temples et des merveilles antiques.
À peine montées dans le minibus (12 places, mais visiblement aussi utilisé pour transporter du linge, des cartons et potentiellement une cargaison de mystères), on nous demande gentiment de nous asseoir tout au fond… et de nous cacher.
Pardon ?
On se regarde, un sourcil levé, l’autre encore en train de dormir. Mais bon, il est tôt, on obéit, on se dit que c’est une différente culture. Nous nous glissons à l’arrière, entre deux sacs, un rideau et un doute grandissant. Une heure plus tard, le doute devient certitude : on approche d’un checkpoint.
Et là, c’est le festival. Rideaux tirés. Silence absolu. Et nous, planquées comme deux contrebandières de temples antiques, à étouffer des rires nerveux.
Je jette un œil discret (désolée, mais la curiosité est plus forte que la consigne). Et là, je vois : des dizaines de policiers, bien en place. Notre guide descend, gesticule, parle fort, montre des papiers, désigne les sacs, sort sa carte de guide officiel. Nous, on en serait presque à retenir notre souffle.
Après dix bonnes minutes de négociation, le verdict tombe : nous passons. Nous repartons, un peu secouées, beaucoup amusées, et surtout conscientes qu’en Égypte, l’aventure commence parfois bien avant d’arriver sur le site.
Le reste du trajet se déroule sans encombre. La route, presque parfaitement droite, fend le désert. Après l’adrénaline du checkpoint, le paysage monotone a quelque chose de reposant. Le silence s’installe, tout comme la musique dans les oreilles, ponctué seulement par le ronron du moteur et quelques bâillements mal dissimulés.
On somnole, on regarde défiler le paysage sec, et on laisse nos esprits vagabonder. Ce moment de calme, presque suspendu, nous fait du bien.
Vers 10h, nous atteignons enfin le débarcadère du temple de Philae. Le Nil scintille sous le soleil déjà haut, et l’excitation revient doucement : l’aventure reprend.
Assouan – le temple de Philae
Le Nil s’étend devant nous, paisible et étincelant sous le soleil de fin de matinée. De nombreuses barques attendent, prêtes à nous emmener vers l’île de Philae. Les cars de touristes ne sont pas encore arrivés. Tant mieux, nous pourrons apprécier l’île de Philae, sans pression.


La traversée est courte, mais elle a quelque chose de solennel. Le temple se dévoile peu à peu, majestueux, posé sur l’eau comme un mirage de pierre. Nous débarquons, presque en silence, happées par la beauté du lieu. Je réussis même à ne pas m’encoubler ni à tomber dans les eaux du Nil.
Le temple de Philae, dédié à la déesse Isis, est un chef-d’œuvre d’élégance et de sérénité. Colonnes finement sculptées, hiéroglyphes encore vibrants, sanctuaires baignés de lumière… Notre guide nous raconte l’histoire du temple, déplacé pierre par pierre dans les années 70 pour le sauver de la montée des eaux.




Ce sont ces éléments d’histoire contemporaine qui me fascine également. En effet, ce que l’on voit aujourd’hui n’est pas tout à fait le site d’origine. Le temple de Philae a été sauvé in extremis des eaux dans les années 1970, à cause de la construction du haut barrage d’Assouan.
Ce gigantesque projet, symbole de modernité et de puissance pour l’Égypte de Nasser, a permis de contrôler les crues du Nil, d’irriguer les terres agricoles et de produire de l’électricité. Mais il a aussi englouti des villages, des terres nubiennes… et menacé plusieurs trésors archéologiques.
Philae faisait partie de ces joyaux en péril. Grâce à une campagne internationale menée par l’UNESCO, le temple a été démonté pierre par pierre, puis reconstruit sur l’île voisine d’Aguilkia, à l’abri des eaux. Un exploit d’archéologie moderne pour préserver un trésor millénaire.





Nous prenons le temps. On s’imprègne. Nous photographons, bien sûr, mais surtout on regarde. Longtemps. Hypnotisées. C’est ce sentiment qui m’imprègne durant tout le voyage. On en oublie les aventures rocambolesques du petit matin.


Prochain arrêt – Kom Ombo, le temple aux deux dieux
Après la magie de Philae, nous reprenons la route vers le nord, direction le temple de Kom Ombo. Le soleil tape fort, la clim du minibus fait ce qu’elle peut, et nos estomacs commencent à protester. Il est déjà bien tard pour déjeuner, mais notre programme ne laisse que peu de place à l’improvisation culinaire.
C’est le paradoxe de cette journée : on prend le temps sur les sites, parce que comment faire autrement devant tant de beauté ? Toutefois sur la route, c’est une autre histoire. Chaque minute compte, et les arrêts sont chronométrés. Résultat : pas de vrai repas, juste quelques pauses express à des petits étals au bord de la route. Bananes, pain égyptien, oranges, biscuits, eau tiède… un festin de fortune, mais suffisant pour tenir debout.
Quand on arrive enfin à Kom Ombo, la curiosité prend le dessus. En effet, malgré la fatigue et la faim, le temple de Kom Ombo nous saisit dès notre arrivée. Posé au bord du Nil, il semble flotter entre ciel et eau, comme suspendu dans le temps. Ce temple unique, dédié à deux divinités – Sobek, le dieu crocodile, et Horus, le dieu faucon, est un chef-d’œuvre d’équilibre et de symétrie. Deux entrées, deux sanctuaires, deux mondes qui cohabitent dans une même enceinte.


Les reliefs sont d’une finesse incroyable: scènes de médecine antique, instruments chirurgicaux gravés dans la pierre, offrandes aux dieux, crocodiles stylisés. Et tout autour, le Nil, majestueux, qui coule lentement, comme s’il veillait sur ce lieu sacré depuis toujours.




Nous nous attardons, on oublie un peu la faim, on se laisse porter par la lumière dorée de l’après-midi. Le vent souffle doucement, les palmiers frémissent, et les barques glissent au loin. C’est un moment suspendu, simple et grand à la fois. Une étape à mettre sur chaque itinéraire égyptien.
Retour vers Louxor : le Nil comme fil conducteur
Le retour vers Louxor se fait en longeant le Nil, cette colonne vertébrale de l’Égypte éternelle. La route serpente entre les villages, les champs de canne à sucre, les palmiers-dattiers et les scènes de vie quotidienne. Des enfants jouent au ballon, des femmes lavent le linge, des hommes marchandent derrière divers étalages, des ânes tirent des charrettes chargées de bananes.
C’est un autre visage de l’Égypte qui défile sous nos yeux, plus intime, plus vivant. Nous observons en silence, un peu fatiguées, un peu poussiéreuses, mais profondément touchées par cette simplicité de vie. J’aperçois les rails de train et je me renseigne auprès de notre guide. Oui, il est possible de voyager jusqu’à Assouan en train, de jour comme de nuit. Il émet quelques réserves quant à la sécurité globale, mais mes sens sont en alerte. Je reviendrai. Et pourquoi pas en train ?
Dernier arrêt – Edfou, le temple oublié
Avant que la lumière commence à décliner, nous faisons un dernier arrêt : le temple d’Horus d’Edfou. On ne sait plus très bien si c’est la fatigue, la chaleur ou la faim qui parle, mais on hésite un instant, surtout que ce temple est souvent oublié des circuits touristiques et des manuels d’histoire. Mais, nous avons bien fait de nous arrêter.
Le temple d’Edfou, dédié à Horus, est l’un des temples les mieux conservés d’Égypte. Il est d’ailleurs le deuxième sanctuaire le plus grand d’Égypte après Karnak. En arrivant, nous sommes immédiatement frappées par la monumentalité de l’entrée: deux pylônes massifs, décorés de scènes de batailles célestes, nous accueillent comme dans un décor de film. L’intérieur est tout aussi impressionnant : colonnes gigantesques, hiéroglyphes parfaitement lisibles, et cette atmosphère presque intacte, comme si les prêtres venaient à peine de quitter les lieux.



Nous déambulons dans la pénombre fraîche du sanctuaire, un peu ralenties par la journée, mais toujours curieuses. Le silence du lieu contraste avec le tumulte de la route, et on savoure ce dernier moment de calme avant le retour, et le passage du checkpoint. Il est 15h00, notre guide nous signale qu’il faut absolument partir si nous ne voulons pas être coincées. On ne s’alarme pas, nous recherchons plutôt les toilettes et un snack bienvenu. Puis, nous repartons.
Derniers kilomètres pour Louxor, dernier checkpoint
Le soleil décline lentement, teintant certes le ciel de rose et d’ocre, mais avec lui, notre marge de manœuvre. Il est 15h30. Nous sommes quelque part entre Edfou et Louxor, le Nil à notre gauche, les palmiers dansants dans la lumière dorée, et une pensée en tête : le checkpoint.
Car oui, comme à l’aller, la route touristique est officiellement fermée aux véhicules transportant des touristes après 16h. Et cette fois, pas question de se cacher derrière des rideaux. Il fallait passer à découvert, passeports en main, regards francs, et surtout… à l’heure.
Le chauffeur, concentré, appuyait légèrement sur l’accélérateur. Le guide, lui, jetait des coups d’œil réguliers à sa montre. Sophie et moi, silencieuses, sentions la tension monter. On n’était pas en retard, mais on n’était pas en avance non plus.
15h50.
Le checkpoint apparaît au loin, comme une ligne d’arrivée un peu trop calme. Un certain Numérobis aurait déclaré : “ C’est trop calme. J’aime pas trop beaucoup ça. J’préfère quand c’est un peu trop plus moins calme”. Et moi non plus j’aime pas trop beaucoup ça… Cette fois, pas de rires nerveux, pas de linge pour nous camoufler. Juste nous, nos visages fatigués, et nos passeports prêts à être dégainés.
Le minibus ralentit. Un policier s’approche. Notre guide descend, documents en main. Il parle, explique, montre nos passeports, notre itinéraire, sa carte de guide. On entend des mots en arabe, des échanges rapides. Le policier jette un œil à l’intérieur du véhicule. Nos regards se croisent. Il hoche la tête.
15h58.
Le bras de la barrière se lève : nous passons. Un soupir collectif s’échappe. On se regarde, mi-soulagés, mi-hilares. Encore une mission accomplie, à deux minutes près.
Quand nous sommes enfin rentrées à Louxor, le soleil avait disparu derrière les palmiers, et la ville retrouvait son calme du soir. On était épuisées, affamées, poussiéreuses… mais le cœur plein.
Cette journée express entre Louxor et Assouan, c’était un condensé d’Égypte: des temples millénaires, des routes surveillées, des paysages brûlants, des rencontres improbables, des rires nerveux, et cette sensation constante d’être à la fois hors du temps et bien ancrées dans le présent.

On n’a pas tout vu. Nous n’avons pas tout compris. On n’a même pas vraiment mangé. Mais on a vécu. Intensément. Et c’est peut-être ça, le vrai luxe du voyage.